dimanche 16 novembre 2014

Le crowdsourcing de(s) paresseux

En 9 jours passé à New York ce mois-ci, j'aurais pris un total de zéro photo avec mon pourtant magnifique Sony RX100 II, avec lequel j'ai par le passé eu une histoire new yorkaise intense et passionnelle. J'ai par contre couvert l'ensemble de mes visites et déplacements avec un iPhone 5, soit plus de 200 photos aux sujets très variés, du plus sérieux au plus stupide.


Faisant suite à un précédent article publié en mars dernier, article dans lequel je justifiais un éloignement de la photographie traditionnelle au profit de la photographie mobile, je ne peux que confirmer une tendance qui a pris une tournure quasi définitive.


En mars 2014, la célébrissime banque d'image Getty annonçait son alliance avec le réseau social d'origine allemande EyeEm (cf: Joint venture Getty & EyeEm), concurrent européen d'Instagram.

Getty, qui depuis sa création fait appel aux services de photographes professionnels et amateurs, se lance donc dans le crowdsourcing de la photographie mobile afin d'enrichir son catalogue. EyeEm de son côté, montrerait qu'il est possible de générer du fric dans un modèle économique éloigné du polluant et étouffant modèle publicitaire.

L'utilisation d'un réseau social tel qu'EyeEm pourrait donc réorienter le contenu posté vers une hypothétique rente financière. Posons nous dès lors la question suivante : peut-on réellement devenir Photographe Mobile Professionnel?


De la fainéantise informatique au catalogue professionnel 
N'ayant jamais été très actif sur mon compte EyeEm, j'y ai uploadé un jour de manière très paresseuse un batch de 900 photos, toutes issues de mon compte Instagram. Et y ajoutais semi régulièrement les mêmes photos, sans interagir, sans tags, sans notes, sans rien, comme un parfait asocial. Non pas que EyeEm ne mérite pas plus d'intérêt, mais j'avoue ne jamais avoir pu me faire à l'interface mobile de cette application, n'ayant jamais pris les 5 minutes nécessaires à l'apprentissage de son ergonomie.

En mars dernier donc, EyeEm et Getty se marient, et proposent d'ajouter des photos dans un compte "EyEm Market", sous-rubrique du réseau social permettant de sélectionner les photos que l'utilisateur souhaiterait voir ajoutées dans le prestigieux catalogue américain.

Quelques clics plus tard, je soumets 200 photos d'une banque d'images professionnelles, environ 180 d'entre-elles sont choisies et après dernière validation se retrouvent listées sur le site de Getty, chacune créditées de mon nom associé à EyeEm.



En quelques années de photo, jamais je n'aurais tenté une approche directe vers une banque d'images, encore moins Getty, étant peu à-même de compléter les démarches administratives nécessaires, et encore moins motivé à l'idée de passer d'avantage de temps derrière un écran plutôt que derrière un viseur optique. C'est bien cette même relative fainéantise qui m'aura personnellement éloignée de la photographie traditionnelle et du post-traitement qui y est associé.

Un influant modèle sous influence
De prime abord sceptique quand au réel succès de cette joint-venture, je considérais l'ajout de photos comme une obséquieuse valorisation de la part d'EyeEm, persuadé que le catalogue de Getty seraient rapidement rempli de millions d'inintéressantes et inutiles photos en basse résolution.


Mais voilà, quelques semaines à peine, et certaines de mes photos ont été achetées depuis le catalogue Getty. Je touchais même 50% de ce que EyeEm percevait dessus (on reste donc bien loin des 50% du prix affiché, fort malheureusement). Le modèle fonctionnerait il donc bel et bien? Prenant le train en marche de la photographie mobile, le crowdsourcing made in Getty serait efficace?

Finalement peu de ces photographes qui auront remplis les banques d'images par le passé ont pu faire carrière entièrement dans le stock photography. Les quelques-uns qui généraient assez de revenus pour ce faire travaillaient souvent sur commande, ouvrant parfois une porte à la créativité toute relative de certains de ces professionnels, et qui auront été coupables de certaines des pires horreurs visuellement conformistes des dernières décennies. L'adjectif 'cliché' ne viendrait-il pas d'ailleurs de ces banques d'images?


Le mutant fainéant
Ce relatif succès d'estime aura pour moi ajouté un clou au cercueil de la photographie traditionnelle (celle qui sous-entend un vrai appareil photo, qu'il soit numérique ou analogique) et des contraintes techniques et administratives qui en découlent. Mais cela m'aura également poussé à prendre des photos dans cette optique précise.



Sans pour autant partir en mission vers du stock photography de base, je me suis retrouvé quelques fois récemment à prendre une photo plus par l'envie d'insérer celle-ci dans une banque d'images plutôt que sur un réseau social. Les quelques retouches nécessaires (comme effacer un logo par exemple...) afin d'optimiser (ou calibrer...) la photo ont été faites sur le smartphone (un post sur les applications mobiles de retouches viendra bientôt), et elles ont été ajoutées au catalogue EyeEm/Getty directement depuis ce même appareil. De la photo mobile, éditée, gérée et publiée via mobile.


























Le pro sans bureau
Nouveaux outils, nouvelles habitudes, nouveaux services. L'utilisation du smartphone comme appareil photo, les réseaux sociaux orientés image et le crowdsourcing de Getty. On mélange tout ça et on obtient un nouveau métier de Photographe Mobile professionnel. Tout le monde est d'accord?


Un photographe analogique vous dira rapidement qu'il fait de l'analogique, et considérera souvent qu'il fait partie de la famille noble de la photographie, celle avec un P majuscule.
Or, pour certains marchés, on est photographe, ou on ne l'est pas. Pas besoin de distinction, sauf pour sa propre estime.
Certains disaient que "Instagram, c'est la mort de la photographie."
Ce n'est pas ce que pense Getty.
Les banques d'images ont surtout compris une chose: qu'elles vous vendent une photo 450x300px pour illustrer un article, peu importe qu'elle soit issue du prochain Hasselblad H5D-200c ou d'un spy pen, le résultat financier est le même.

Le futur de l'ancien nouveau machin
Nouveaux outils, nouvelles habitudes, nouveaux services, disions nous. Et donc tout naturellement, nouveaux marchés. Comptons les mois, voire les semaines qui nous séparent de l'apparition de nouvelles formations en "Photographie Mobile Professionnelle", ou d'un spam "Devenez Photographe Mobile professionnel en 2 heures". J'ai moi même inséré il y a 4 ans un chapitre sur la photographie mobile dans mon cours d'Eléments de Photographie, chapitre s'étoffant un peu plus chaque année. L'année académique dernière, j'ai même autorisé une série d'étudiants à n'utiliser que leurs smartphones pour les exercices pratiques. Les outils changent, mais pas le contenu.

Certains miseront temporairement sur une spécialisation de la "photographie mobile",  s'y colleront un titre d'expert en la matière, et tenteront probablement de se différencier des "photographes traditionnels numériques". Libre à chaque personne derrière une lentille de s'illustrer pour performer dans ces nouvelles pseudo catégories, quitte à sortir radicalement des standards consensuels des banques d'images.
Si une photo remplit sa mission, les banques d'images se feront un plaisir de l'interpréter pour vous afin de satisfaire une demande commerciale.


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