jeudi 10 décembre 2015

Comment être un vieux con la semaine d'un nouveau Star Wars

Plus qu'une semaine avant la sortie du premier épisode de la nouvelle trilogie Star Wars. Un engouement mondial qui est l'occasion de revenir sur l'engouement mondial d'il y a 15 ans, pour la sortie de la Menace Fantôme, et de voir à quel point ce film (pas bien terrible, il faut l'admettre) a changé radicalement votre mode de vie. Si, si. 

Retour vers le futur
Dans une galaxie très lointaine, un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas comprendre. 1999, plus précisément. A cette époque lointaine, on était sous Windows 95 ou 98, internet rentrait timidement dans les foyers belges, les parcs informatiques se développaient enfin, les premiers iMac débarquaient sans lecteurs de disquette, etc.
Les plus nostalgiques se souviendront d'autres éléments clés de l'internet de l'époque comme ICQ, Infonie, et Wanadoo, du bruit d'un modem se connectant à votre ligne téléphonique, des chat-rooms, et d'une bonne recherche sur Altavista. Yahoo était encore très cool.
Les plus geeks-nostalgiques par contre se remémoreront les warez, les cracks sur Astalavista, et les cargaisons de cd-r Verbatim qu'ils achetaient pour graver en vitesse 2x la musique de groupes et artistes vendant encore des millions de copies chaque année. 

Personne ne connaissait vraiment Google, qui était encore en version beta. 

Et quel rapport avec l'ancien nouveau Star Wars dans tout ça? Le film était tellement attendu que certains Belges n'ont pas hésité à traverser l'Atlantique pour aller visionner le film avant sa sortie européenne. L'évènement cinématographique de l'année allait faire renaître une curieuse habitude relativement courante dans certains cinémas new yorkais des années 80 : les screeners, ces types louches qui entraient dans une salle obscure avec une caméra afin d'y filmer le film et revendre sous le manteau des crasseuses copies Betamax et VHS à $3. 




La Menace Fantôme du Piratage 2.0 
Voilà qu'un screener assiste au nouveau Star Wars, et arrive à en filmer d'une qualité convenable au point que des copies - sur 2 cd-r, 700Mo oblige, les DVD-r c'était encore de la science fiction - commençaient à circuler rapidement. Un "rapidement" très relatif car la science fiction de l'époque, c'était aussi transférer des centaines de mégas octets via Internet. Les screeners du nouveau Star Wars se distribuaient de la main à la main, pas via un software de file sharing. N'oublions pas que 1999, Napster venait seulement de voir le jour, et échanger des volumineux fichiers mp3 de 5Mo n'était déjà pas en soit une sinécure. 

Philips, Sony, Teac et compagnie arrivaient enfin à commercialiser des graveurs cd-r abordables : 500€ (20.000BEF), même des students pouvaient en rêver! Et ces students correspondaient justement au nouveau public visé par ce nouveau Star Wars, car les nostalgiques de la première trilogie ne suffiraient - déjà - pas à rentabiliser la superproduction de Georges Lucas. Mais rappelons tout de même que les marketeurs/créatifekes de l'époque ont méchamment foiré leur cible. Entre un Jar Jar Binks rasta-con et un Darth Maul sensé être plus cool que Darth Vador, le public rajeunis ne se sera pas fait avoir par ces nouveaux guignols.


Wachowskis, ça vous dit quoi encore?
L'autre caractéristique de ce public rajeunis est son intérêt grandissant pour les nouvelles technologies de l'époque. Bien avant les smartphones, l'ADLSL abordable et le streaming, le futur le plus fascinant était illustré dans une autre trilogie, celle qui débuta par la véritable sensation visuelle au succès écrasant tout sur son passage : The Matrix




Il faut dire que le film de l'époque avait quelques éléments clés bien plus parlant à cette nouvelle génération : de l'underground, de la manipulation politique, de la réalité virtuelle, des hackers qui prennent le contrôle, des héros avec des nicknames. La Force se prenait une méchante claque dans la gueule par un finfrelet renfermé s'échappant de sa prison corporate, et devenant grâce à l'informatique un badass ninja déclarant la guerre à des méchants au look conformiste. 




OK, Star Wars, on a compris, mais on voulait voir Matrix. On voulait être Neo, pas Anakin Skywalker. On voulait en prendre plein la vue d'effets spéciaux nouveaux, pas plein les oreilles de ce vieux John Williams.
La demande créant l'offre, sous le manteau et surtout dans les cartables, on trouvait donc rapidement des cd-r de Matrix. Pas de fichiers avi à lire avec VLC à cette époque. C'était 2 fichiers mpeg à lire avec Windows Media Player. Et là, les moins de 20 ans découvrent que Windows a eu un jour un media player...



700Mo et pas plus
Les fans de musique avaient Napster, une bibliothèque magistrale facilement accessible, à lire avec Winamp. Les fans de cinéma avaient toujours un internet autant à la ramasse. Il était donc nécessaire de réduire la taille des fichiers video, en développant des formats compressés de qualité (avi donc, les fameux 'divx', terme que plus personne n'utilise aujourd'hui). Et la plupart de ces fichiers videos faisaient entre 650 et 700Mo, taille maximale du format cd-r. Ca reste pénible à partager quand la moyenne de transfert de l'époque atteint les 20ko/sec pour les plus chanceux. Evidemment en Belgique, nous étions à la préhistoire par rapport aux campus américains ou scandinaves, dont les vitesses de connexion poussent des jeunes développeurs à créer des software de partage de masse tel que audiogalaxy, soulseek, mais aussi eMule, qui fût un temps appelé Morpheus, comme le mentor d'un certain Neo, l'élu dans Matrix.

Rapidement tout augmente. La qualité des divx, la vitesse de download, la quantité de films piratés, le spam, les gens avec internet à la maison, et les lois qui sont sensée réguler tout ça. 



15 ans plus tard
15 années sont passées, nous avons les réseaux sociaux, le streaming 4K, des catalogues Netflix, Hubu et compagnie, 100Mo/seconde à la maison, un mini ordinateur constamment connecté dans notre poche. Et surtout très bientôt, un nouveau Star Wars.

Il est fort probable que ce nouvel épisode de la saga se retrouve sur vos ordinateurs avant même sa sortie en salle, ou du moins peu de temps après. En version pirate, bien entendu. A peine quitté les salles il sera ensuite disponible sur des plateformes médias à la demande pour à peine moins cher qu'un ticket d'entrée au Kinepolis.

Le business modèle a bien changé en 15 ans, et peu importe  si "The Force Awaken" ne bat pas un record d'entrées la semaine de sa sortie (mondiale, cette fois-ci) en salle. Le break even de production du film sera atteint bien avant de récupérer les montants astronomiques investis dans la promotion de ce nouvel opus. Raison pour laquelle, bien plus qu'en 1999, les produits dérivés tous plus débiles les uns que les autres envahissent les étals.

Alors ok, félicitons nous d'avoir en 2015 accès chez nous, sur nos tablettes et compagnie, à du contenu multimédia haute qualité à un coup d'abonnement mensuel valant à peine 2 entrées de cinéma.

Et puis en même temps plaignons nous de cette société de l'immédiateté et du consumérisme à outrance.

Bref, bouffons la pilule bleue, suivons le lapin blanc, devenons Neo et renversons la Matrice. Ainsi, nous aurons droit aux épisodes de la prochaine saison de Game Of Thrones traduits avec les pieds, et en HD 4K de préférence.